CULTURES FRANCE

 

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Mai 2008

Afrique en créations

Danse l’Afrique danse !
septième édition à Tunis

La biennale Danse l’Afrique danse – 7es Rencontres chorégraphiques de l’Afrique et de l’océan Indien s’installe du 1er au 8 mai à Tunis, en partenariat avec Ness El Fen, et propose un éclairage sur la création chorégraphique du continent. Les lauréats se verront offrir une tournée internationale.
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Événement

La diversité culturelle en débat à Saint-Denis

Culturesfrance organise le 21 mai, en partenariat avec la Ville de Saint-Denis, une journée exceptionnelle de rencontres et de témoignages intitulée Diverses Cités Hors les murs, exporter et promouvoir la diversité culturelle. Slameurs, hip-hopeurs, rappeurs, graffeurs, photographes, écrivains, metteurs en scène, journalistes, sociologues… se réunissent autour de la question : "Comment mieux exporter et promouvoir la diversité culturelle ?". Avec le soutien de l’agglomération Plaine Commune. France Inter s’associe à l’événement en organisant une journée spéciale.
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Arts de la scène

Suona francese : l’événement musique contemporaine en Italie

Du 8 mai au 29 juin, près de soixante-dix concerts sont programmés dans treize villes italiennes pour l’événement Suona Francese, festival dédié à la musique contemporaine française.
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Saison culturelle

100% Finlande :
un rendez-vous cirque
à La Villette

Pour la 2e édition du festival "Des auteurs, des cirques", la Finlande fait son cirque à la Grande Halle de la Villette ! Quatre spectacles finlandais sont programmés du 15 au 25 mai.
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Arts visuels

Orlan dans la peau d’un(e) Autre

L’exposition "Post-Identity Strategies" d’Orlan ouverte le 16 avril se poursuit jusqu’au 18 mai au Kunstihoone – Art Hall de Tallin (Estonie). L’artiste présente ses "self-hybridations natives américaines indiennes", un travail où se mêlent plusieurs cultures et plusieurs pratiques artistiques.
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Formation professionnelle: discussions autour d’un système contesté

La formation professionnelle, qui représente un budget d’environ 25 milliards d’euros pour une efficacité souvent contestée, fait l’objet de discussions entre tous les acteurs concernés (Etat, régions, patronat, syndicats) dans la perspective d’une réforme avant la fin de l’année.

Un groupe de travail pluripartite s’est réuni mardi pour discuter notamment de la gouvernance et du financement d’un système de plus en plus critiqué, et étudier un avis du Conseil d’orientation de l’emploi (COE) rendu la semaine dernière.

La formation professionnelle doit faire l’objet d’une réforme avant la fin de l’année, selon une promesse de Nicolas Sarkozy, qui en septembre avait jugé que le système actuel n’était “pas assez centré sur ceux qui en ont le plus besoin, en particulier les chômeurs et les salariés les moins qualifiés”.

C’est le constat également du COE, qui dans son avis, critique un système “défaillant pour les personnes sorties du système éducatif sans diplôme, sans connaissances de base suffisantes ou qui ont rencontré des incidents de parcours”.

25 milliards d’euros sont consacrés chaque année à la formation et à l’apprentissage (dont près de 10 milliards apportés par les entreprises), mais des disparités existent entre les bénéficiaires, juge également le sénateur UMP Jean-Claude Carles, auteur d’un rapport en 2007.

Ainsi, une entreprise de moins de 10 salariés consacre en moyenne 74 euros par an et par salarié à la formation professionnelle, contre 791 euros pour les entreprises de plus de 10 salariés.

Cette disparité s’explique en partie par la multiplicité des acteurs, et le caratère très segmenté du système. Les financements diffèrent en effet en fonction de la situation du bénéficiaire (salarié, chômeur, en contrat de professionnalisation, etc), et de la branche professionnelle.

Au total, la France compte une centaine d’organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), chargés de recueillir les cotisations des entreprises (consacrées à la formation) et de les redistribuer. Un système touffu” car “chaque branche, chaque profession a souhaité avoir son propre organisme collecteur”, explique Annie Thomas (CFDT).

La contribution obligatoire des entreprises est comprise entre 0,55% et 1,6% de la masse salariale brute, mais dépasse souvent ce montant, atteignant près de 3% en moyenne dans les entreprises de plus de dix salariés. Pourtant ce chiffre baisse depuis 1999, selon l’Insee.

Le COE suggère que faire bénéficier les entreprises ” d’une fiscalité plus incitative”, et de laisser les partenaires sociaux négocier par branche le taux de contribution obligatoire.

La formation pâtit également d’un manque de transparence dans la gestion des financements. La loi prévoit qu’une partie de ces fonds aille aux organisations patronales et syndicales gérant paritairement les OPCA. En 2005, elles ont ainsi reçu 40 millions d’euros (sur les 5 milliards gérés de manière paritaire), mais le dispositif, mal contrôlé, laisse planer le doute sur l’usage de cet argent.

Pour clarifier le système, le COE propose de confier la gestion du système aux régions et de regrouper les OPCA “dans une logique interbranche et interprofessionnelle”.

Représentants des partenaires sociaux des régions et de l’Etat vont se retrouver chaque semaine jusqu’à fin mai, avant une “conférence conclusive” présidée par Christine Lagarde, vraisemblablement en juin.

Seront alors fixés les grands axes de la future réforme, et le partage entre ce qui dépendra de la loi et d’une négociation patronat-syndicat, qui n’interviendra qu’au second semestre.

CONCEITO DE ESTADO

Le concept d’État : plaidoyer pour un État intelligent et juste

Nous reprenons ici la suite de l’abécédaire engagé dans le numéro du Mag philo consacré à la responsabilité (n° 20, automne 2007).

Trois concepts seront abordés autour des trois lettres suivantes : D comme « Défense », E comme « Égalité » et F comme « Frontière ». L’abécédaire obéira cependant à un ordre qui lui est propre, nonobstant celui de l’alphabet qui doit faire ici figure de contrainte stimulante. Les trois termes seront utilisés pour nous aider à répondre à deux questions que l’article « Hypothèses discutables sur l’origine et les fondements de l’État » de ce Mag nous a permis d’élaborer : 1) Pourquoi, au cours de l’histoire, la composante « pouvoir » à l’intérieur des États a-t-elle toujours fini par corrompre la composante Justice qui légitimait pourtant ce dernier comme nous l’avons vu dans l’article mentionné ? Et 2) Quelles solutions « transitoires » pouvons-nous penser afin de re-construire une Justice et un pouvoir dignes de ce nom dans nos États ?
Ces deux questions sont éternelles et il y a sans doute de l’ambition à vouloir y apporter une réponse innovante. Mais c’est bien à la sphère philosophique qu’incombe un tel questionnement. Celle-ci ne peut donc renoncer à être ambitieuse sur ce point puisqu’il la légitime en quelque sorte. De plus, ce qui est éternel peut parfois faire l’objet d’une réactualisation. Celle-ci ne pourra se faire si elle n’est pas au moins tentée. Ainsi Rousseau se demandait déjà au début du contrat social : « Pourquoi, alors que l’homme est né libre, il est partout dans les fers ? ». Notre première question revient à re-poser la problématique rousseauiste en cherchant, si possible, à ne pas reproduire certaines des réflexions dépassées de l’auteur de l’Émile et évoquées dans l’article « Hypothèses discutables ». Aristote, dans le Politique, s’est quant à lui également interrogé sur la meilleure manière d’appliquer la législation idéale à la diversité des situations politiques et éthiques contingentes. La « politique » est ainsi une œuvre cherchant à mettre en évidence un droit factuel, idéel et transitoire. Notre seconde préoccupation s’inscrira parfaitement dans la droite ligne de cette autre tradition en n’oubliant pas que l’âge des cités grecques est révolu. Nous n’entendons donc pas opposer les Lumières et les Anciens sur ce sujet. Mais au contraire, nous chercherons à trouver des réponses permettant de relier les préoccupations des uns et des autres afin si possible de « restaurer l’État » en tous les sens du terme.

Défense

Pour Aristote, la cité a été créée non « pour satisfaire les seuls besoins vitaux [mais]… pour bien vivre » (Politique, I 1252 b 30). Elle n’a donc pas une vocation purement sécuritaire ou de satisfaction du seul enrichissement matériel de ses membres ou de certains d’entre eux. Car, si tel était le cas, l’oligarchie serait son mode de gouvernement le plus adéquat. Or le régime des oligarques est au contraire considéré comme un régime dépravé, contraire à l’idée même de cité qu’il corrompt pour le Stagirite. De plus, s’il en était ainsi, la loi et l’éthique ne seraient pas son ciment et « à ce compte tous les peuples liés entre eux par des traités de commerce seraient comme des citoyens d’un seul État » (ibid., III 1280 a 25 à 1280 b 10). Mais qu’est-ce donc alors que le fondement de la cité pour Aristote ? La cité (notre État) est en fait « la communauté de vie heureuse, c’est-à-dire dont la fin est une vie parfaite et autarcique pour les familles et les lignages » (ibid., III 1280 b 35).
Si nous interprétons correctement ce passage, selon l’auteur de l’Éthique à Nicomaque, la cité a donc pour finalité de promouvoir le bonheur qui passe par la « perfection » (l’excellence, l’« arété » grecque traduite « virtu » par les Latins et en « vertu » par nous) et la double liberté des familles, des « générations » et des individus. L’ambition d’Aristote pour la cité était donc grande : celle-ci devait œuvrer tant pour l’autarcie (la liberté ? Plus que cela, une totale indépendance en tous points de vue) et pour l’excellence des générations et des familles. La recherche de ce qu’est l’excellence (que nous appellerons l’éthique aujourd’hui) est précisément mise en évidence dans l’Éthique à Nicomaque. Elle est à la fois médiété et « hexis » ou disposition, voire seconde habitude. La cité doit donc avoir pour objectif de permettre la mise en œuvre de l’éthique car celle-ci ne peut vivre que lorsqu’elle s’accomplit en ce qu’elle est « œuvre » avant tout et non simple lieu de réflexion intellectuelle sans action correspondant aux propos tenus.
C’est sans doute la raison pour laquelle l’Éthique à Nicomaque reste le livre phare de la philosophie « politique » d’Aristote. Tout doit être orienté vers lui si l’on opte pour une vie pratique qui ne doit pas être aussi radicalement séparée de la vie contemplative dominée quant à elle par la Métaphysique. La cité est donc œuvre pour Aristote et elle doit permettre la conjonction de plusieurs fins afin de les mettre en acte toutes. Cette ambitieuse finalité assignée à l’État par Aristote paraît cependant se « réduire » avec les Lumières. En un sens, telle fut la judicieuse remarque de Benjamin Constant sur ce point et il fut sans doute le premier post-moderne en ce qu’il fut le premier à remettre en cause la philosophie desdites Lumières. Les dernières citées paraissent, en effet, plutôt se méfier des familles et se sont repliées sur une conception plus individuelle de l’idée de bonheur que chacun est désormais libre de déterminer comme il l’entend.
Les philosophies du XVIIIe siècle occidental semblent assimiler les familles au pouvoir d’un père qu’il s’agit désormais sérieusement d’encadrer de diverses manières (la lecture d’un Locke, d’un Rousseau même, d’un Montesquieu paraît éloquente sur ce point). Le père de famille est en effet vu dans une époque pétrie de romanité – non comme le père vertueux et ouvert décrit dans l’Éthique à Nicomaque, mais comme le Pater familias romain qui avait droit de vie et de mort sur ses enfants ou comme l’aristocrate ploutocrate abusant de ses privilèges au sein même de sa famille.
Marquées par la contingence, les Lumières oublièrent ainsi tout autant le concept aristotélicien que le modèle biblique par lequel le peuple hébreu s’était d’abord construit en partant d’une opposition d’Abraham à un père devenu idolâtre et avec lequel il importait précisément de rompre. Le père n’était donc pas chez tous les anciens un autocrate mais il n’était père que lorsqu’il avait le courage de s’opposer à l’idolâtrie et aux erreurs de son géniteur, si tel était le cas.
Pour les Lumières – craintives à l’égard de Jérusalem comme d’Athènes – l’objectif de l’État demeurait donc désormais la liberté des individus et leur sécurité. Le mot « défense » caractérise ainsi bien, selon nous, l’objectif assigné à cet État moderne par ces derniers et les politiques tenteront par la suite de s’en inspirer en le mettant plus ou moins en pratique. Ledit État ne doit donc plus chercher à aider les citoyens à retrouver leur propre nature et permettre la mise en œuvre de l’excellence pour chacun et pour tous conjointement. L’État des Lumières doit simplement défendre contre les atteintes à l’intégrité physique et contre les limitations apportées à la seule liberté des individus. Le mot liberté est mis en avant, bien plus que celui d’autonomie. Pour nous convaincre de cette mutation, relisons ainsi le Contrat social. Pour Rousseau, en effet, les peuples se sont donné des supérieurs uniquement « pour les défendre contre l’oppression et protéger leurs biens, leur liberté, leur vie qui sont pour ainsi dire les éléments constitutifs de leur être ». « Sécurité » incluant « liberté » ou « liberté » incluant sécurité demeurent désormais les maîtresses finalités des États. Or ce désir sécurito-libertaire s’accompagne chez Rousseau d’un patriotisme qui est ainsi souvent confondu avec le courage.
Pour Locke, le rôle protecteur de l’État ne fait également aucun doute. Relisons ce qu’il écrit dans son Second traité de gouvernement civil : il rappelle que les hommes ne concluent le pacte social qu’afin d’assurer « leur sûreté mutuelle et la tranquillité de leur vie, pour jouir paisiblement de ce qui leur appartient en propre et être mieux à l’abri des insultes de ceux qui voudraient leur nuire et leur faire du mal ».
Contre Aristote, voire même Platon, qui voulaient que la cité fît le bonheur de tous, les Lumières firent donc de la défense « extérieure » et « intérieure » la finalité première de l’État qu’ils mirent en place. Ce faisant, ils pensèrent toutefois que le droit positif pourrait être le moyen d’éviter que ce souci sécuritaire ne produise de la tyrannie. Une telle réduction par rapport aux objectifs des « anciens » peut cependant nous aider à répondre aux deux questions que nous avons posées avant de poursuivre cet abécédaire :
– d’une part, elle nous aide à mettre en évidence l’autre nature de notre individualisme essentiellement sécuritaire en opposition au projet familial et générationnel, tout autant qu’individuel d’Aristote (rappelons-nous que l’individu est, avec Dieu, la substance première pour le Stagirite et que le Dieu de Jérusalem est « celui qui est » et qui enjoint d’« aimer son prochain comme soi-même »). Cette primauté de l’individuel était indépassable dès lors que nul désormais ne reconnaissait l’importance et la primauté du caractère essentiellement social de l’homme. En effet, lorsque l’homme est un loup pour l’homme, l’urgence est bien de le préserver avant tout de ses semblables (qui ne sont plus ses « prochains » au sens biblique du terme). La psychanalyse, les échecs de la modernité ont montré les limites d’une telle thèse. L’homme sans « famille » reste vulnérable, l’homme seul est, en effet, malheureux. Il recherche la reconnaissance et l’amour. Si nos semblables consomment autant d’anti-dépresseurs, cet usage peut s’expliquer par le sentiment de solitude, d’incompréhension, de rejet qui les rend si malheureux dans une société qui pense peu le lien social et le place en faible position pour n’y croire que fort peu. De plus, nous avons admis – depuis les travaux des sociologues notamment – que le rôle joué par la famille dans la structuration des individus est premier. Tout commence par elle. Les philosophes des Lumières ont pensé qu’ils pouvaient la remplacer en mettant en évidence une éducation désormais rationalisée et organisée. Ils ont ainsi radicalisé le besoin de se substituer à la famille défaillante qui est à l’origine de l’État et qui a été évoqué dans l’article « Hypothèses discutables ». Toutefois, nos relatifs échecs en ce domaine – et celui de l’Europe nazifiée du milieu du XXe siècle – nous montrent l’ampleur de nos illusions relativement à cette radicalisation.
– Mais, d’autre part, nous est-il possible d’expliquer l’impossibilité contingente de faire valoir le droit sur le fait par cette « réduction » ? Une telle hypothèse reste à envisager. Aristote faisait un lien entre la politique, l’Éthique et la Métaphysique. Il ne séparait pas aussi radicalement théorie et pratique, tout était dans le regard qui dans notre langue les réunit tous deux. Le prudent ne peut être homme ignorant l’éthique, selon lui. Mais surtout l’éthique était impossible sans référence au premier moteur et donc à Dieu. Seuls les hommes de foi – c’est-à-dire ici pour Aristote ceux qui regardent Dieu et cherchent à l’imiter – peuvent atteindre le bien. C’est notamment ainsi qu’il faut peut-être comprendre ce qu’il nous dit lorsqu’il écrit que la cause finale (le premier moteur ou Dieu) « meut comme objet d’amour […] Son être est le bien et c’est de cette façon dont il est le principe » (Métaphysique Lambda 7 ; 1072 a 19 b 30). L’homme de bien aime Dieu, ce qu’il représente et ce qu’il est, et lorsqu’il atteint le bien, c’est bien parce qu’il le rencontre. De plus, cette rencontre lui donne la force requise et pour cette raison, il n’est pas d’éthique, chez Aristote, sans courage. Ce n’est pas par hasard la vertu ou l’excellence qu’Aristote étudie – en premier – dans l’Éthique à Nicomaque : « Commençons d’abord par le courage » (EN III 9 1115 a 6, trad. Tricot, Vrin), écrit-il car c’est bien ledit courage qui constitue le principe premier capable de rendre possible toute vie éthique.
Un tel commencement va de soi en effet. Car, pour Aristote, tout commence par cette vertu qu’il cherche à définir après la délibération cependant. L’homme courageux délibère en effet. Il n’est pas un inconscient. Il sait très bien ce qu’il fait et pourquoi il le fait. Il n’est pas une « tête brûlée ». Comme le remarque Aristote, l’homme de courage occupe le juste milieu – par rapport à lui-même – entre la lâcheté et la témérité. Mais surtout, être courageux, c’est accomplir les actes qui conviennent lorsqu’il s’agit de défendre les choses « de première importance » (EN III 9 1115 a 25). Ou plus exactement, « celui […] qui attend de pied ferme et redoute les choses qu’il faut, pour une fin droite, de la façon qui convient et au moment opportun ou qui se montre confiant sous les mêmes conditions, celui-là est un homme courageux » (EN III 10 1115 b 15). Pour Aristote, si le courage « civique » est la première forme de courage, celui qui consiste pour les soldats « qui sont forcés par leurs chefs à se montrer courageux » est d’ordre inférieur car la « conduite est dictée non par le sentiment mais par la crainte et le désir d’éviter non la honte mais la souffrance » (EN III 11 1116 a 30). De même est courage « l’expérience de certains dangers particuliers » car elle permet « de prendre l’offensive, de parer les coups, vue l’habileté [des hommes de savoir en ce domaine] à se servir de leurs armes et à s’équiper avec tout ce qu’il peut y avoir de plus parfait à la fois pour l’attaque et pour la défense ». Leur situation est ainsi celle d’hommes armés combattant une foule désarmée ou d’athlètes entraînés « luttant avec de simples amateurs » (EN III 11 1116 b 10). Mais ils ne sont pas pour autant comme les soldats qui fuient le danger. Ils sont d’« une autre trempe ». Ce qui signifie notamment qu’ils délibèrent toujours comme il se doit et qu’en conséquence, lorsqu’ils se lancent dans la bataille, ils ne le font jamais sans réflexion. Ce qui ne signifie pas que courage égale froideur. Au contraire, les hommes courageux sont « pleins de passion. Car rien de tel que la passion pour se lancer impétueusement dans les dangers » (EN III 11 1116 b 25).
L’homme courageux n’est pas pour autant confiant en lui-même. Il est homme qui sait allier passion et analyse alors que l’homme sûr de lui ne l’est que par habitude qui peut parfois se révéler contraire à la réalité. Il aime la vie et c’est d’ailleurs pour un tel homme « que la vie est surtout digne d’être vécue » (EN III 12 1117 a 10). Aristote se livre donc à une analyse très fine du courage comme première vertu et il est indéniable que celle-ci est première, pour lui, afin de permettre la mise en œuvre de toutes les autres. Être vertueux en effet, c’est toujours choisir le bien quelles que soient les conséquences de ces choix et faire des choix implique du courage. En conséquence l’apprentissage de cette excellence, la valorisation de celle-ci (contre l’égalitarisme faux des sophistes qui ne cherchent qu’à flatter le peuple) devront être premiers dans l’État qu’il préconise. Or, avec les Lumières, celui-ci cesse d’être une priorité puisque la sécurité prime. L’homme sécuritaire ne songe pas au courage, il ne pense qu’à la sécurité et il confond la dernière vertu citée avec le patriotisme qui n’est courage qu’en certaines occurrences.
En effet, l’homme courageux – au sens indiqué – pense qu’il faut assurer la sécurité lorsque les choses essentielles le commandent et il accepte, si cela est possible, de la mettre en jeu – après délibération – lorsqu’il en a les moyens. Il n’est donc pas « sécuritaire » à tout prix. Seule l’excellence importe pour lui et c’est elle qu’il importe de faire prévaloir. Il n’est de plus, pas nécessairement patriote au sens que Rousseau donnera étrangement dans l’Émile (Livre I, lorsqu’il évoque le bonheur de cette femme qui sait que tous ses enfants sont morts à la guerre) et ce, même s’il lui arrive fréquemment de l’être car la défense de l’excellence passe par la défense de la patrie lorsque celle-ci est de ce côté-là ou que l’ennemi risque de lui porter atteinte. Il n’aime pas la guerre pour la guerre ou pour la patrie sans examen et délibération du bien.
Ce qui lui importe est donc ce « bien » par excellence qui est celui qui se suffit à lui-même dans l’excellence. C’est lui qu’il cherche toujours à mettre en œuvre dans ses actions sans se préoccuper nécessairement et toujours de la « sécurité » mais sans l’ignorer pour autant.
La justice est l’une de ces vertus qu’il cherche à faire être. Il peut combattre pour elle en y réfléchissant et s’il a les moyens de le faire. Il ne sera pas téméraire pour autant.
Nous pouvons donc ici soutenir, en guise d’hypothèse, que la difficulté pour la dominante de « justice » de s’imposer face à celle du pouvoir dans nos États modernes, s’explique par le peu de cas que nous avons fait du courage au détriment qui de la « prudence », qui de la « sécurité » devenues finalités premières de l’État au nom de la défense toujours nécessaire face à l’homme-loup désormais institué. Lorsque le courage manque et que le goût de la sécurité prime, ceux qui prétendent l’assurer finissent par s’arroger tous les pouvoirs et tout occulter car les courageux ne sont plus là et s’ignorent eux-mêmes, et ne savent donc que faire pour s’opposer à eux.
Toutefois, les contingences jouent parfois et l’on peut se demander s’il n’y a pas un lien entre l’émergence de l’État-spectacle et la découverte de la bombe H par les post-modernes. Dès lors que l’essentiel de la défense est assuré par celle-ci, l’État sécuritaire devient moins nécessaire. Il perd de sa raison d’être notamment par rapport aux plus « riches » matériellement. Dans le même temps, la peur devient plus grande. L’État-spectacle permet ainsi de fuir et c’est ainsi cette peur, par la fuite permanente, dans le virtuel qu’il organise peut-être.

Égalité

Les post-modernes que nous sommes paraissent – pour certains du moins – avoir compris la primauté de la justice sur la force dans la constitution de l’État. La remise en cause du positivisme va ainsi de pair désormais avec celle de Weber qui prétendait que l’État était le monopole de l’exercice légitime de la violence. En droit, l’État n’est autre que ce qui est légitimé par un besoin de justice parfois exceptionnellement secondé par la force. En fait, les proportions s’inversent et la justice devient l’exception ; la force quelle qu’elle soit ou le pouvoir de la majorité (au sens large du terme), la règle. Cependant, nous mettons désormais au cœur de nos théories de la justice contemporaine l’idée d’égalité, comme le rappelle Will Kymlicka. En conséquence, alors que la conception de fait de l’État nous inspire le souci de sécurité intérieure et extérieure, passant par la liberté, notre conception de l’État de droit passe par l’égalité.
Cette association de la justice à l’égalité est une nouvelle perversion de ce qui se devrait. En effet, la justice en tant que telle est le contraire de l’égalité puisqu’elle consiste à rendre à chacun ce qui lui revient, ce qui signifie qu’il n’est ainsi rien de plus injuste que de traiter de la même manière l’homme valeureux, éthique et celui qui n’a aucune vertu. L’égalité n’existe dans la justice que lorsqu’il s’agit de juger chacun de manière impartiale sans chercher à privilégier tel ou tel parti et lorsque ainsi elle se confond avec la politique qui a d’autres missions.
Cependant, dès lors que nous avons abandonné l’idée de mettre en avant le courage au sens aristotélicien du terme pour le remplacer au pire par le patriotisme, une telle retombée dans l’égalitarisme n’a en soi rien de surprenant. La valorisation du courage au sens indiqué plus avant suppose la mise en valeur d’individus capables de déterminer ce qui est le bien et qui savent ce qu’il convient de faire lorsqu’il faut trouver les moyens permettant sa mise en œuvre. La primauté du courage implique donc valorisation des hommes courageux et distinction de ceux-ci par la négation d’une égalité de talents qui est illusion sophistique et démagogique. La glorification effective (mais toujours modérée et réaliste) de ces hommes courageux a de plus pour effet d’entraîner la « masse » par l’exemple qu’ils offrent. Ce faisant, ainsi la justice peut triompher car ces hommes savent se « battre » pour elle lorsqu’ils ont les moyens que l’État leur donne précisément en les distinguant de la masse.
Mais encore faut-il qu’ils disposent de tels moyens et qu’ils soient reconnus. Le patriotisme axé sur l’obnubilation sécuritaire est autre et il ne valorise nullement le courage mais le sacrifice de soi qui n’a rien de toujours très « entraînant » pour chacun et sert même parfois de repoussoir pour les autres. Il ne glorifie en rien le courage car parfois il est courageux de dire non à un despote ou une envie tyrannique de guerre d’un peuple soudain devenu fou et ivre de violence. De plus, axé sur le sacrifice, ce patriotisme détourne du courage car nul n’a vraiment envie de finir en martyr ou en soldat « inconnu ». Les hommes sont ainsi peu motivés et se replient alors dans le cynisme et le peu de foi.
De plus, le patriotisme entendu restrictivement n’incite pas au courage qui est dépassement de soi et des autres et envie de se distinguer. Au contraire, il veut de la « banalité », de l’égalité. Il n’exige que des soldats « uniformes » (et en uniformes par la même occasion) pour défendre le territoire. Tous sont bien égaux devant la peur et nous n’avons besoin que du « nombre » d’égaux pour pouvoir faire « masse » afin de défendre le territoire. Le patriotisme récompense les hommes à l’ancienneté, donne prime à la soumission car le but n’est pas de se distinguer des autres mais d’obéir à ses supérieurs lorsqu’il faut plonger la masse dans la bataille.
Cependant cette perversion ignore, rappelons-le, que la justice passe avant tout par le souci d’impartialité. Nous entendons par là, celle qui précisément part de la singularité de chaque situation pour la retrouver et aider à ce qu’elle s’accomplisse. L’impartialité est cette qualité qui nous permet d’apprécier les justes limites, de savoir quand elles ont été dépassées ou ignorées et ce qu’il faut faire – sans aveuglement – pour y remédier. Elle impose donc de partir de la singularité de chaque situation et nécessite du courage parfois pour entendre et faire ou dire ce qui déplaît. Comme Cyrus, prétend Platon dans les Lois, était capable d’écouter tous ceux qui lui donnaient de sages conseils, ce, même s’ils le contredisaient (Les Lois, III.694 c). Cyrus ne récompensait pas ses troupes à l’ancienneté ; il glorifiait le courage de ceux qui le contredisaient lorsqu’ils le faisaient vertueusement, c’est-à-dire pour le bien.
Un grand roi n’a donc pas peur d’être contredit. Il ne veut pas la soumission et les soumis. Il cherche surtout la compagnie d’hommes sages et perspicaces qu’il a le courage d’écouter. Ainsi, il n’a pas pour objectif l’égalité à tout prix mais le souci de valoriser ceux qui sont dignes de l’être parce qu’ils peuvent apporter le bien pour tous. La peur qui paraît être au cœur de la pensée des Lumières explique peut-être aussi cet amour de l’égalité. En effet, lorsque la peur règne, les hommes sont tous égaux devant elle. Montesquieu l’avait bien pressenti qui estimait que précisément dans le régime despotique « les hommes sont égaux non parce qu’ils sont tout, comme en démocratie, mais parce qu’ils ne sont rien » (EL VI.2).
L’homme qui ignore sa propre sécurité est un téméraire et un imprudent présomptueux. Cependant celui qui ne songe qu’à sa sécurité, à n’être que l’égal de son prochain sans même songer à être d’abord et avant tout lui-même, celui-là n’est rien pour lui-même. Il sait qu’il n’a pas à mettre son courage en valeur, il sait qu’il n’a pas à mettre sa nature au premier plan. Il lui suffit d’être l’égal des autres et d’attendre tranquillement sans prendre le moindre risque, et ce, même pour défendre le bien qui s’étiole ainsi peu à peu.
Ce souci de l’égalité devenu prioritaire explique dès lors peut-être pourquoi il est si difficile de mettre en œuvre la justice contre le pouvoir. La justice en effet exige impartialité pour se mettre en place ; elle ne peut y parvenir sans des citoyens courageux au sens éthique exposé plus avant. Il convient donc de donner les moyens qui conviennent à ces citoyens et de les mettre en évidence, de les aider, de leur donner ce qu’il y a de meilleur en eux afin qu’ils puissent permettre à la société de progresser. Il faut donc les distinguer pour ce bien qu’ils apportent. Si la justice est obsédée par l’idéal d’égalité, alors seule l’envie domine et dominent avec elle finalement ceux qui ont le pouvoir et qui jouent avec l’envie que nous éprouvons lâchement les uns envers les autres.
L’envie, c’est aussi le désir de « voir », jamais de regarder comment vivent les autres ; et l’on comprend dès lors les raisons pour lesquelles lorsque l’État dégénère en spectacle, la force prime sur le droit. Être dans le spectacle, c’est se montrer parce que l’on fait envie et que l’on veut susciter l’envie dans le cœur des hommes afin sans doute qu’elle les domine et qu’ils se refusent ainsi réellement à promouvoir les meilleurs, au sens aristocratique du terme. En effet, l’homme envieux ne veut pas que ses concitoyens plus méritants que lui soient honorés. Il veut l’égalité, c’est-à-dire la sécurité à tout prix et au risque même de la perte du sens des mots, donc de celui d’égalité qui récuse, mais impartialité dans le jugement d’attribution et de mise en valeur. Les cyniques soutiennent cependant que toutes les valeurs sont identiques. On se demande pourquoi dès lors ils mettent cette valeur de relativité au-dessus de toutes les autres et au nom de quoi ils louent plus Diogène ou Sade qu’Aristote.

Frontière

Outre le souci de défense et d’égalité, une autre idée domine l’État des Modernes : celle de frontière. Lorsque le souci n’est autre que d’obtenir ce que tout le monde doit avoir, lorsque l’exigence de sécurité prime sur celle du bien, alors une seule priorité importe : celle de défendre les frontières. Mais celles-ci sont nombreuses. Elles sont extérieures : il faut se défier de ses voisins. Mais elles sont intérieures également : il importe de se préserver de ce voisin qui peut être un loup pour son semblable.
Les frontières internes et externes rendent les hommes continuellement inquiets et soucieux de voir tout ce qui peut leur arriver. Ils veulent surveiller et le « proche » et l’étranger. Il s’agit pour chacun de s’enfermer dans sa spécialité, dans son statut pour obtenir quelque protection. La cité se divise alors et la justice y devient impossible car les clans se constituent et l’impartialité ne peut s’installer. D’autant que certains prennent le dessus sur d’autres, augmentent leurs possessions et veulent plus que tout les préserver contre les risques d’empiètement des autres. Montesquieu l’avait bien compris. L’opacité est d’autant plus nécessaire que le mérite n’est pas toujours – voire rarement – la cause des avantages ainsi obtenus. Une bonne naissance, de solides liens, l’appartenance au clan qui convient font figure de passe-ports et de passe-droit. Dès lors – tous les mauvais disciples de Machiavel le savent bien –, il n’est pas de chose plus aisée pour un tyran en puissance que de gouverner une société divisée. Mieux, il a plus encore intérêt à la séparer en autant de frontières internes qu’il est possible pour pouvoir, non seulement susciter l’envie – et donc augmenter la peur – et de ceux qui n’ont pas ce qui convient et de ceux qui le possèdent et qui craignent précisément de le perdre, le sachant parfois non légitime.

Nous nous interrogions préalablement sur les raisons pour lesquelles la force fait souvent droit. La psychologie n’est sans nul doute pas étrangère à une telle domination. Un travail d’éducation et de recherche sur ces concepts clefs de défense, égalité, frontière, ainsi que leur usage contemporain est donc nécessaire. Nous avons tenté d’en esquisser quelques lignes et point n’était ici notre intention d’en finir avec ces analyses. Cependant, il convient aussi et surtout de nous interroger sur le courage, vertu trop souvent oubliée et sans doute plus conséquente que bien des autres chez Aristote.
Mais l’étude ne suffit pas : l’État ne pourra réellement répondre à sa vocation que s’il met tout en œuvre pour permettre la réalisation quotidienne de cette vertu. Comme le rappelle, en effet, Aristote, c’est en mettant en actes les vertus qu’elles s’affermissent pour celui qui les pratique et celui qui en bénéficie. Ce n’est donc que lorsque l’État favorisera de telles initiatives que celui-ci fleurira peut-être. Mais nous sommes loin de telles exigences. Les combats politiques de la modernité se sont surtout concentrés sur la question de la justice sociale : qui peut et doit avoir moins ?
Un tel débat, s’il est nécessaire, reste périlleux car il remplace le secondaire par l’accessoire. La question en effet n’est pas comment donner plus à ceux qui ont moins ou l’inverse mais plutôt pourquoi donner plus à certains et moins à d’autres et quelles autres distinctions faut-il mettre en œuvre pour aider une cité à se construire ?
Le déplacement du débat sur la seule question du « plus » ou du « moins » ne pouvait que conduire à la victoire d’un libéralisme à la Hayek qui, en lui-même, ne valorise pas le courage mais demande au contraire à l’État de se désinvestir. Un tel libéralisme non interventionniste est, selon nous, une négation du politique en ce qu’il nie le rôle central de la politique dans l’éducation des hommes.
En effet, si l’État ne doit pas faire en sorte d’assister ses « ouailles » continuellement et les infantiliser – précisément parce qu’il sape leur courage de la sorte –, il ne doit pas pour autant se désinvestir et se désengager en laissant chacun vivre comme il se doit. En agissant ainsi, il montre qu’il ne sert qu’à peu de choses et perd ses assises.
Un État digne de ce nom ne retrouve sa véritable vocation que lorsqu’il laisse autant que faire se peut aux êtres moralement excellents (ou qui excellent dans la profession qu’ils ont choisie et qui sert la communauté) la possibilité d’exercer leur excellence, ce afin, d’une part de donner l’exemple pour inciter les autres, et d’autre part d’aider lesdits êtres à être plus excellents encore pour leur bien et celui de la cité en général. Ce faisant, il redevient ce qu’il se doit d’être et retourne vers ce qui le légitime. Il devient un État intelligent et juste, susceptible de nous aider à être un peu ce que nous nous devons d’être : pour l’Un, pour l’Autre et pour Nous-mêmes.

O ESTADO EM TODOS OS SEUS ESTADOS


L’État dans tous ses états

Sujet à controverses, régulièrement pris à partie, synonyme de pouvoir et de domination, implacablement inhumain, l’État a régulièrement fait l’objet d’une métaphorisation qui ne laisse guère de doutes sur la manière dont les penseurs l’ont appréhendé. Depuis l’époque moderne notamment et la façon dont Hobbes a théorisé sa manière de confisquer et d’accumuler toutes les puissances particulières du sujet, jusqu’à Weber qui lui attribue le monopole de la violence légitime, l’État n’a cessé de gagner en potentiel néfaste menaçant toujours un peu plus d’écraser l’individu (Stirner). Kant en saisit la dérive tyrannique par une analogie pour le moins explicite : « Le tyran écrase le peuple comme le moulin à bras écrase le grain. » Ainsi l’État est-il, potentiellement au moins, toujours susceptible d’une perversion radicale, ce qui, notons-le, suppose qu’il y ait originellement une certaine rectitude et une normalité de ses formes et de ses fonctions, malheureusement toujours en passe d’être contaminées par l’hybris. Au service des passions et des intérêts les plus vils, l’État perd sa légitimité et se montre tel qu’il est : « le plus froid des monstres froids », selon Nietzsche, annonciateur funeste des pires excès des totalitarismes du XXe siècle.
Ce constat devient d’autant plus alarmant si l’on prête l’oreille à une autre critique réputée marxienne de l’État, selon laquelle celui-ci n’est qu’un instrument de domination supplémentaire dont les classes dominantes se sont toujours assuré de conserver l’exclusivité et le contrôle et qu’elles ont parfaitement utilisé comme solide levier d’action et de domination sur la part la moins bien armée de la société civile. Puissance d’organisation, de surveillance, de sanctions, etc. (Foucault), l’État fonctionne à plein régime lorsqu’il encadre et planifie la société selon les axes économique, social, idéologique, culturel et politique. Au final, toujours structuré de manière pyramidale, le propre de l’État est la hiérarchisation, étayée sur la sélection et l’exclusion, l’élection et l’élimination.
Pourtant l’État, ou plus exactement la cité, c’est aussi ce qui vient s’inscrire selon Aristote au cœur de la nature humaine, comme une de ses données les plus substantielles, à la fois spécificité de sa condition première et destination finale de son existence. La cité précède ainsi non seulement la famille mais aussi l’individu, et chaque homme se trouve doté d’une virtualité politique qui à la fois rend possible son humanité et impulse à son devenir une perfectibilité. De même chez Spinoza, l’État est replacé dans un contexte fondamentalement positif : pensé selon son idée adéquate, il ne sert pas la tristesse et ne joue pas le rôle d’un tyran qui nuit au peuple et veut le gêner, l’entraver et le dominer. Bien au contraire, la juste pensée de l’État conduit à saisir son rôle régulateur et épanouissant : ramené à ses fonctions premières de garant de la paix, de la sécurité et de la mise en œuvre des conditions de possibilité d’une poursuite du bonheur, l’État est à la fois le garde-fou de toutes les errances humaines et la condition de la liberté.
Dès lors, où en est-on avec l’État ? Doit-on sérieusement envisager sa diminution, suivie de son abolition ou suppression ? Ou bien doit-on le repenser et notamment le réorganiser quant à sa finalité et ses principales hiérarchies, par exemple en lui conférant la souplesse qu’il n’a pas, en l’individualisant et le taillant à la portée de l’individu ? Que chacun puisse soutenir sans pour autant se prendre pour Louis XIV « l’État c’est moi » constituerait ainsi un horizon indépassable nécessairement impensé ou dénié de l’utopie philosophico-politique. Ce serait dans un tel non-lieu dessiné par la pensée inventive des philosophes que résideraient les idéaux les plus tenaces d’un bonheur structurellement garanti (comme par exemple dans le préambule de la Constitution américaine), idéal dans lequel se retrouverait le diagnostic de Descartes : « C’est le plus grand bien qui puisse être dans un État que d’avoir de vrais philosophes. »

Gilles Behnam, pour le Mag Philo


EQUIPAS EDUCATIVAS

Parier sur l’intelligence collective

On est plus intelligent à plusieurs que seul : telle est l’idée qui irrigue le présent dossier consacré à l’équipe éducative. Plus fort pour aborder les problèmes récurrents de violence et de difficulté d’apprentissage dans les établissements. Mais travailler en équipe ne saurait relever de la simple injonction. Une volonté, un mode de fonctionnement, de l’engagement sont nécessaires, nous disent les différentes contributions et réflexions ici rassemblées.

Chahuts répétés, élèves aux comportements difficiles, échec scolaire, climat tendu… Et si la réponse était collective, apportée par l’ensemble de l’équipe éducative, celle qui réunit les enseignants et les acteurs de la vie scolaire d’un même établissement ?
Un vœu pieu ? Le travail en équipe est déjà une réalité dans la plupart des établissements classés « Éducation prioritaire » qui ont trouvé là un mode de remédiation aux problèmes de scolarité et d’indiscipline. Dans les écoles, les collèges et lycées, nombreux sont les enseignants qui collaborent entre eux pour créer des outils, monter des actions culturelles, participer à des dispositifs pédagogiques, accueillir les élèves handicapés, fonctionner en réseau1.
Cependant, on est loin des pays anglo-saxons où la pratique collégiale fait davantage partie de la culture des enseignants.
En France, le travail en équipe relève encore beaucoup du « bricolage » institutionnel. Pourtant, les textes officiels ne sont pas muets sur la question. On peut mentionner ainsi la circulaire de 19972 qui stipule : « Un professeur n’est pas seul ; au sein de la communauté scolaire, il est membre d’une ou plusieurs équipes pédagogiques et éducatives. Il est préparé à travailler en équipe et à conduire avec d’autres des actions et des projets. Il a le souci de confronter ses démarches, dans une perspective d’harmonisation et de cohérence, avec celles de ses collègues. »
Les appels à plus de coopération ne manquent pas non plus. Citons celui, tout récent, de Claude Lelièvre, professeur d’histoire de l’éducation qui, dans un entretien au Café pédagogique, déclare : « Il est tout à fait remarquable que les succès les plus probants de la lutte pour réduire l’ampleur et l’intensité des violences scolaires passent par certaines mises en œuvre collectives, par le collectif.3 »
Mais, pour travailler en équipe, le décréter ne suffit pas. Il faut une impulsion et une volonté commune, se doter d’un fonctionnement opérationnel, combattre les obstacles (trouver une salle, un créneau horaire, etc.), surmonter les inerties et les résistances4. Et ces dernières sont nombreuses, à commencer par l’attachement des enseignants à leur autonomie qui pourrait s’en trouver limitée. Tous ne souhaitent pas en effet soumettre leur pratique aux regards des collègues ni se frotter au fonctionnement du groupe.
Au sein d’une équipe éducative, il faut aussi faire avec des cultures professionnelles différentes : les unes, plus tournées vers l’éducatif, les autres, plus centrées sur le pédagogique, résultat d’un héritage tant culturel que structurel5. Enfin, il faut accepter, si ce n’est une nouvelle charge de travail, au moins d’y consacrer du temps en plus. Le tout pour des résultats rarement immédiats et parfois aléatoires.

Faire de l’enseignement un métier non plus solitaire mais solidaire
Il n’empêche, pour Christophe Maroy, sociologue à l’université de Louvain, « c’est surtout parce qu’il ne porte pas sur les enjeux professionnels les plus cruciaux pour les enseignants : gestion de classe, conditions d’apprentissage et mise en place de l’ordre scolaire, que le travail collectif est peu développé.6 » Or c’est justement sur ces thématiques que le travail en équipe s’avère des plus utiles. À commencer par les problèmes récurrents de violence dont, comme le pointe régulièrement Éric Debarbieux, « l’un des principaux facteurs de risque est l’absence d’équipe éducative stable7 ». Quand elle existe, elle constitue en effet un rempart pour ces cibles privilégiées de la violence que sont les individus isolés, élèves comme enseignants. Faire de l’enseignement un métier non plus solitaire mais solidaire, tel est l’un des enjeux du travail en équipe.
Ainsi pour Anne Barrère, enseignante en sciences de l’éducation à l’université de Lille, « il faudrait voir ce qui se passe dans les classes comme quelque chose de produit par l’organisation. Par exemple, arrêter de considérer que l’enseignant systématiquement chahuté de 5 à 6 est un problème purement individuel, quels que soient les facteurs effectivement personnels qui sont partie prenante de la situation. C’est aussi un problème collectif, qui peut avoir des incidences sur l’ambiance, les équipes, etc., et les enseignants auraient un véritable intérêt à une construction plus objectivante et plus collective de ce type de “risque du métier”. La parole pourrait davantage circuler sur les classes et les élèves difficiles.8 »


Une approche concertée des problèmes permet aussi de révéler l’impact d’un collectif face à l’individualisme qui marque notre époque. Ainsi, le fait que les adultes d’un établissement scolaire tiennent le même discours, parlent d’une même voix, fassent respecter les mêmes règles ne peut qu’avoir un effet bénéfique sur le climat général et donc sur les conditions de réussite des élèves.
Mieux vaut aussi une équipe pluriprofessionnelle pour suivre les élèves en difficulté. Elle offre la diversité de ses regards et de ses approches et permet de mieux cerner chacun dans sa globalité. Quant aux relations avec les parents, elles sont enrichies d’être portées par un échange avec l’ensemble de l’équipe en charge de leur enfant.
Force est de le constater, le travail en commun fait bouger les frontières traditionnelles des champs d’intervention professionnels. Il n’est donc pas sans effet sur l’exercice du métier. L’enseignant voit sa responsabilité sortir de la seule classe pour s’exercer au niveau de l’établissement, les membres de la vie scolaire appréhendent mieux ce qui se passe au niveau pédagogique dans la classe.
Mais chacun peut bénéficier des apports des autres. Et cet échange, la dynamique ainsi créée peuvent in fine servir de soutien aux jeunes enseignants et profiter aux élèves.
« Dès lors que des adultes se parlent, échangent, se complètent, s’enrichissent de leurs compétences réciproques, a ainsi confié Philippe Meirieu, l’élève a tout à y gagner. Parce qu’il y a une pluralité de regards, d’approches, et parce que chacun des adultes membres de l’équipe devient une équipe à lui tout seul, il pourra bénéficier des apports, de l’éclairage, des outils de chacun. C’est l’idée forte de l’intelligence collective : on est plus intelligent à plusieurs que seul.9 »

Pour approfondir cette notion de travail en équipe éducative, ce dossier apporte les éclairages de Philippe Perrenoud, chercheur en sciences de l’éducation, recense des expériences menées sur le terrain et présente un guide pratique ainsi qu’une sélection de ressources. Bonne lecture !


Dossier réalisé par Isabelle Sébert en collaboration avec Claire Lafage, documentaliste, et Marie-Line Périllat-Mercerot, enseignante.


3 « Violence scolaire : changer de paradigme », entretien avec François Jarraud (janvier 2008) http://www.cafepedagogique.net/
7 Entretien avec François Jarraud (mars 2006) http://www.cafepedagogique.net/
8 « Améliorer le travail collectif en établissement, chiche ! » (PDF, 1,6 Mo), Bulletin du centre Alain Savary XYZEP, n° 25, décembre 2006, p. 13.http://centre-alain-savary.inrp.fr/
9 In Fenêtres sur cours (PDF, 1,2 Mo), n° 294, 17 janvier 2007, p. 19 http://www.snuipp.fr/

APPLE A MELHORAR

Apple mostra iMacs (ainda) mais fortes


A Apple atualizou a sua linha de iMacs com opções de processadores Core 2 Duo com até 6 MB de memória cache L2 e FSB de 1066 MHz e placas de vídeo mais parrudas.

A máquina mais poderosa da família, o iMac de 24 polegadas, agora oferece chip de 3,06 GHz e placa de vídeo GeForce 8800 GS de 512 MB em sua configuração mais avançada.

Os preços dos novos iMacs nos EUA vão de 1199 dólares, na configuração básica do modelo de 20 polegadas, a 1799 dólares, preço da versão de série de 24 polegadas. Em todos os casos é possível reforçar o desktop com mais memória (até 4 GB, sempre partindo de 2 GB) e HD mais espaçoso.

A Apple Brasil não divulgou preços e disponibilidade dos novos iMacs no país.